Extrait 6
XIII
Belle-Île, France
12 février 2020
Chaque fois qu’elle le peut, Mina s’isole du monde en refermant la
porte de sa petite villa située à Kerdonis, l’un des hameaux de
Locmaria. Autour d’elle ne bruissent que la lande, les falaises et la
mer. Le premier bipède en vie n’exhale son souffle de mortel qu’à mille
cinq cents mètres. Il est vieux, peu bavard et ne sort que pour aller
pêcher ou faire quelques courses au Palais.
Cette villa, elle y tient. Il lui semble toujours que le Temps s’y
repose, laissant la Terre se débrouiller avec son œuvre abrasive. En
dehors des périodes d’invasion touristique, une halte là-bas permet à
l’organisme, en période post recouvrement, de goûter à cette pause
reconstructrice. Elle y séjourne trois ou quatre jours et repart.
Du périple maltais, Mina retient plusieurs choses. Son ennemi de
toujours n’a pas choisi l’affrontement direct. Cela prouve, malgré
l’issue de leur dernière rencontre en Espagne, qu’il la craint. Constat
plutôt positif. Cette vieille carcasse puante a tenté de se débarrasser
d’elle, mais il avait planifié les choses de façon à éviter toute
confrontation qui pût déclencher un nouveau combat éreintant. Car un
combat entre loups-garous laisse des traces. Qu’on soit vainqueur ou
vaincu, la violence physique est telle que les blessures défigurent ou
achèvent. Béantes sont les plaies. Déchiquetés sont les bras et les
épaules. Poitrail éventé. Corps constellé de morsures. L’issue,
proportionnelle à l’intensité du combat, livre un tableau sanglant et
carnassier. Le titan qui terrasse l’autre se goinfre de barbaque
fumante tant que ses membres antérieurs le maintiennent debout. S’il
lui reste quelques forces, il savoure son triomphe et s’élance à toutes
jambes dans la nuit en hurlant sa satisfaction et sa puissance.
L’immortalité a toujours un prix. Celle du loup-garou ne peut se
départir de rage sauvage.
Côté négatif, une nouvelle pièce est apparue sur l’échiquier. Un autre
loup-garou. Mina s’est posée mille fois la question et la réponse ne
souffre d’aucun doute. C’est un lycanthrope qui l’observait à
l’aéroport, à Sliema et à Dingli. Un lycanthrope qui s’est bien gardé
d’intervenir. Et c’est cette notion qui dérange. Qu’il se comporte en
ennemi invasif ne surprend pas. Qu’il déchaîne sa violence au moment
opportun non plus. Qu’il se contente d’observer, y compris sous sa
forme lupine, interpelle. Il l’a attendue, il l’a suivie, il l’a
surveillée. Qui est-il ? Et quels sont ses plans ? Deux questions qui
restent en suspens.
Mina, allongée sur le canapé, ouvre et ferme son livre de recettes.
Pour une raison étrange, elle ressent souvent, dans cette période
mièvre qui suit la pleine lune, l’envie de décrypter les règles
élémentaires de la cuisine. Pour ressembler à la ménagère lambda ? Ou
juste à un humain ?
« Je crois que ce soir ce seront encore des pâtes… »
Le téléphone vibre. Un SMS.
« Thomas… C’est pas vrai ! Qu’est-ce qu’il veut ? »
Thomas : « J’ai essayé de t’appeler, ms tu réponds pas. Où es-tu ? Bien
reçu ton message d’adieu ms je comprends pas… Et j’arrive pas à
surmonter ça… Pkoi tu m’as pas alerté avant ? Je suis sûr que j’peux te
rendre heureuse. Tu dis que je prends trop de place. Ms trop de place
par rapport à quoi ? Vivre, c’est pas juste le taf, la bouffe et dodo.
Et tirer un coup de tps en tps. Je peux pas croire que tu te contentes
de ça ! Et tu dis que tu m’aimes ms pas comme je voudrais. Ms c’est
quoi ta déf de l’amour ? Je t’en prie, réponds-moi ! Je t’aime de tout
mon cœur ! »
« Pffft ! Fais chier ! »
Elle soupire. Au fond d’elle, elle sait très bien qu’elle n’a aucune
définition précise de l’amour ni ce qu’elle en ferait si elle en avait
une. Quel amour pour un loup-garou ? Thomas est un gentil garçon,
serviable, présent. N’importe quelle fille voudrait qu’un homme se
mette à plat ventre pour elle. Mais, quand on est loup-garou, on n’est
pas une fille lambda et on ne peut pas vivre comme une fille lambda. Et
on ne peut pas non plus expliquer pourquoi. C’est comme ça…
Mina : « Contrairement à ce que tu crois, c’est dur aussi pr moi car je
te considère comme un ami. Ms notre relat° amoureuse n’est pas celle
que j’attends. Tu rendrais heureux plus d’une femme, c’est sûr, ms pas
moi. Et moi je suis pas cap de te rendre heureux. Alors, ne gâche pas
ce qui s’est passé et laisse-ns trouver nos voies respectives. Sois
heureux. »
Thomas : « En gros, ça veut dire, casse-toi et laisse-moi, c’est ça ? »
Mina : « Non, ça veut juste dire qu’il est tps d’arrêter. Pt barre. »
Thomas : « On peut pas se voir pr en parler ? »
Mina : « Non »
Thomas : « Dc t’as pris ta décision tte seule. C’est fini ! »
Mina : « Oui »
Pas de réponse supplémentaire. Soulagement…
« Bon, pendant que j’ai le téléphone en main et que j’y pense, j’envoie un message à Diona »
Mina : « Diona, pas de news de toi. Juliette m’a dit qu’elle en avait pas non plus. Fais quoi ? »
Elle pose son téléphone et soupire longuement en explorant le plafond.
L’humidité sature l’air extérieur. Le ciel, bas et sombre, écrase l’île
de tout son poids. L’océan rugit en mordant le pied des falaises. La
tranquillité, immersive, déclenche un vague sentiment d’apaisement qui
pousse l’occupante solitaire à fermer les yeux.
— Tu es différente. Juste différente. Probablement unique. Il faut que
tu sois consciente de ta différence. Ce sera à la fois ta force et ta
faiblesse.
Cette phrase, Mina la connaît par cœur. Plus que toute autre. Une
phrase prononcée par sa mère en novembre 1905, deux jours avant sa
mort. Différente. Oui, Mina l’était. Elle l’est et le sera toujours.
Parce qu’elle se transforme à la pleine lune et parce qu’elle se
nourrit de viande humaine. Unique. Parce que, contrairement à tous ceux
qui sont devenus loups-garous, elle n’a pas été mordue ou blessée.
Malédiction ou héritage, elle est juste née avec. Un supplément
dépourvu de question ou plus exactement de remise en question. La
justification et l’acceptation ne sont venues que bien après. Mais trop
tard. On ne remet jamais en question ce qu’on a éprouvé, ce à quoi on
s’est habitué. Se transformer en loup-garou à la pleine lune signifiait
souffrir, mais cette souffrance faisait partie de la vie. Une sorte de
phase qui, dans sa répétition, associait progressivement ce supplément
si spécial à un héritage enrichissant. Mois après mois, année après
année, des pouvoirs nouveaux apparaissaient, des perspectives nouvelles
se dessinaient. Alors, à quoi bon les réfréner ?
— Ce sera à la fois ta force et ta faiblesse.
Ma mère avait raison. Diablement raison. Elle savait que mes pouvoirs
m’interdisaient de prétendre à une vie sociale ordinaire, mais elle
savait aussi qu’ils m’aideraient à survivre et à conquérir mon trône.
Autrement dit à trouver ma place.
Ma mère aurait approuvé mon choix de faire des choix. Elle aurait dit
que mes pouvoirs m’empêchaient de devenir quelqu’un de bien, mais que
je pouvais me servir d’eux pour produire du Bien dans un univers où le
Mal sévit. Le loup-garou vit par défaut dans un monde brutal et
asocial, sous la bannière rouge sang du Mal, un monde dont il ne peut
s’émanciper. Théoriquement. En réalité, certains le peuvent soit parce
que leur âme a conservé une dimension morale inextinguible, soit parce
qu’ils portent en eux les gènes nobles que leurs ascendants leur ont
transmis à la naissance. Plusieurs cas confirment la première
assertion. Un seul cas confirme la seconde. Un cas unique : Mina.
Ma mère aurait brillé dans la société d’aujourd’hui sous sa forme
humaine. C’était une femme intelligente, cultivée, avant-gardiste, qui
avait les ressources pour convaincre le monde des hommes et le faire
changer. Elle avait le potentiel pour faire évoluer le syndrome
machiste qui frappe les hommes dès qu’ils quittent les cuisses de leur
mère et qui les pousse à préférer des femmes juste dotées d’un sens des
priorités les autorisant au mieux à mener une existence compatible avec
celle de leur conjoint. Elle aurait évité que pour certaines femmes
l’ignorance soit encore une bénédiction et aurait fini par les
convaincre que l’ambition n’a pas de sexe. Mon instinct me porte à
croire que sous sa forme lupine elle aurait accompli des choses dont
j’ignore la nature mais dont je sais qu’elles auraient servi à la fois
la cause humaine et l’underworld des lycanthropes.
Ma mère serait, je veux le croire, fière de moi. Je pense que je ne
possède pas ses facultés intellectuelles, mais je ne suis pas dénuée de
bon sens et j’applique au mieux celui qu’elle m’a enseigné avant que
nous ne soyons séparées. Socialement, je n’influence en rien la société
moderne, mais financièrement et économiquement je la nourris. Comme
chez mon ennemi héréditaire, l’argent ne manque pas sur mes nombreux
comptes bancaires. Habile négociatrice, j’ai une intuition qui me
permet de flairer les bons coups avant tout le monde. Loup, y es-tu ?
Bien sûr qu’il y est… et il m’aide bien !
Ma mère, je le sais, ne vivra bien sa mort que le jour où j’aurais
écartelé et dévoré son assassin. Et ce jour viendra. Je le tuerai,
quelle que soit la forme derrière laquelle il s’abrite. Et j’espère
sincèrement que ce sera en France.
Quant à mon père…
Mon père…
Mina ouvre les yeux. Elle jaillit du canapé et se dirige vers le plan de travail. Au menu, ce sera de la quiche.
Le lendemain matin, direction Le Palais. Elle aime bien le petit marché
local. On y trouve des coquillages, du poisson et de la Morgat, la
bière du coin. Dans les quinze jours qui suivent le recouvrement,
l’estomac tolère à peu près tous les plats dont se délecte un humain
normalement constitué. Mina se laisse volontiers aller avec les
crustacés et le poisson. Car ensuite, rien à faire, ça ne passe plus.
De la viande, uniquement de la viande. Puis plus rien ou presque sinon
de l’alcool…
— Alors, palourdes, coques… Tu veux des bulots au piment ?
— Yvon, tu gardes tes bulots au piment pour les touristes. Moi je veux
quelques bulots normaux et pour ta peine, tu me feras un bon prix sur
ton homard…
— Tu vas me mettre sur la paille…
— Eh ben j’irai t’aider à pêcher, j’ai un harpon à la maison qui ne demande que ça.
— Vingt, ça te va ? Normalement, c’est dix euros de plus, celui-ci ! T’as vu le bestiau ?
— Dix-huit. Et fais pas cette tête, ça va pas te tuer ! Pis comme t’es
un bon gars, tu me mettras aussi du sar. Je sais que tu en as, même
s’il est pas sorti…
— Eh ben, heureusement que tous mes clients sont pas comme toi ! Quand est-ce que tu rentres dans l’association ?
L’association en question regroupe quelques passionnés de pêche sous-marine.
— Quand je serai à plein temps sur l’île.
— Ouais, pas tout de suite, quoi…
Mina offre un sourire entendu en guise de réponse avant de tourner les
talons, les bras chargés. Petit passage à la fromagerie et un détour
par la distillerie pour finir, histoire de ramener un peu de Morgat et
deux flacons de cent centilitres de Ster-Vraz, le whisky local.
Elle charge tout ça dans le coffre de la vieille Punto et s’assied au
volant. Elle prend le temps de bien régler son rétroviseur et en
profite surtout pour vérifier que celui qui la suit depuis qu’elle a
quitté sa villa remonte bien, lui aussi, dans sa 4L de location.
L’homme en question, un appareil photo attaché au cou, joue les
touristes. Il prend le temps de jeter un œil à l’état des pneus avant
de monter dans l’habitacle. Comme la Punto ne démarre toujours pas, il
dépose tranquillement l’appareil photo sur le siège du passager. La 4L
finit par vrombir et emprunte le sillage de la Fiat. Filature à peine
discrète car l’île n’est pas encore assaillie par les premières
cohortes d’envahisseurs printaniers et la circulation s’avère assez
fluide. Petite halte à hauteur de Bordaroué, après Port Salio, histoire
de laisser une distance raisonnable entre les deux voitures. L’homme se
laisse même doubler volontairement par un deux-roues. Cela ne changera
probablement pas la perception de la poursuite, mais cela alimente
quand même le jeu.
Quelques minutes plus tard, la Punto roule au pas sur le chemin qui
mène au petit garage qui l’abrite toute l’année. L’occupante en
descend, se dirige vers le coffre et en retire les victuailles achetées
en ville. Un premier tour dans la villa. Elle revient chercher les
packs de bière, ferme le coffre et disparaît dans son antre.
L’homme se dit que cela ne sert à rien de traîner, qu’il vaut mieux en
finir rapidement. Il s’extirpe de son siège, laisse la portière ouverte
et se lance à pied à l’assaut de l’allée. Il marche d’un bon pas et ne
cherche surtout pas à se cacher. Cela fait si longtemps qu’il attend ce
moment. Trop longtemps. Il admet qu’il manque d’expérience et que cette
lacune l’oblige à courir après des révélations qui changeront dans tous
les cas le cours de ses quêtes futures.
Trois coups secs contre la porte et il attend. Comme rien ne se produit, il réitère son geste.
Toujours rien.
Il soupire. Il sait qu’il va devoir entrer.
Il pousse à fond sur la poignée et laisse la porte décrire une partie de son mouvement demi-elliptique de recul.
Un pas à l’intérieur…
Ses orteils ont à peine touché le sol qu’un char d’assaut le renverse
violemment. Il n’a pas le temps de prononcer le moindre mot ou
d’esquisser un geste de défense. Plaqué la tête contre le carrelage, un
bras coincé dans le dos, il est maintenu en posture de soumission par
la jeune fille qu’il suivait. Elle a positionné ses cuisses de chaque
côté du tronc ennemi, ajoutant son poids à l’intimidation. Sa main
gauche est prête à briser le bras qu’elle maintient fermement tandis
que la droite pointe un couteau sous la gorge de l’intrus.
— Tu tentes de bouger, je te brise le bras. Tu tentes de résister, je t’égorge. C’est clair ?
— Très clair. Je ne bouge pas.
— Je sais ce que tu es et je sais que tu étais à Malte. Pourquoi tu me suis ?
— Pour des raisons personnelles. Mais dis-toi que si tu sais ce que je
suis, tu dois bien te douter que je n’ignorais pas que tu m’attendais…
— Qu’est-ce que tu veux dire par là ?
— Je savais pertinemment que tu m’avais repéré ce matin et je n’ai pas
cherché à me cacher. Et je ne suis pas armé. Je suis là parce que j’ai
un doute à ton sujet. Je ne sais pas si nous sommes ennemis… Mais cela,
tu le sais, n’est-ce pas ?
— C’est vrai. Mon instinct hésite à ton sujet. Je ne sais pas si je dois te tuer ou t’épargner.
— Plutôt un bon présage, non ?
— Écoute, mon petit ami, je n’ai que faire des présages. Les présages
sont mortels. Un loup-garou n’a besoin que de certitudes, tu devrais
savoir cela !
Elle accentue la pression sur le bras prisonnier.
Il gémit.
— Alors, tu es qui ?
— Je m’appelle Tom. Tom Dupuis. Je suis né le 2 octobre 1971 à Niort.
J’ai été attaqué par un loup-garou le 8 mars 1993 dans un hameau proche
de Châtillon sur Thouet, dans les Deux-Sèvres. Ma copine et moi, on a
eu le malheur de sortir… Il s’est jeté sur elle et l’a dépecée.
Ensuite, il m’est tombé dessus et a commencé à me bouffer. Il s’en est
fallu de peu qu’il le fasse d’ailleurs…
— Il s’est passé quoi ?
— Un autre loup-garou est intervenu…
— Un autre loup-garou ?
— Oui.
— Les loups-garous ne chassent pas en meute, en général.
— Je le sais. Le deuxième loup-garou ne venait pas pour se nourrir. Du
moins pas de ma carcasse. Il s’est attaqué à son rival. Ils se sont
battus et c’est tout ce que je sais… Je me suis évanoui. Je pensais que
j’allais mourir. Mais non ! Je me suis réveillé le lendemain matin dans
la même position. Malgré mes blessures, j’ai survécu. Et à la première
pleine lune qui a suivi, je me suis transformé…
— D’accord, mais c’est quoi le rapport avec moi ?
— Au début, y en avait pas.
— Ah… Et pourquoi t’es là, alors ?
— C’est une longue histoire. Je suis là en partie pour la raconter,
mais je suis là aussi aujourd’hui parce que j’avais besoin de cette
confrontation directe. J’avais besoin d’une révélation…
— Laquelle ?
— Je voulais être complètement certain que tu n’étais pour rien dans l’assassinat de ma copine en 1993.
— Je t’ai dit tout à l’heure : sers-toi de ton instinct, il ne
t’apporte que des certitudes. Tu sais au fond de toi si j’y étais ou
non.
— Ce n’est pas aussi simple.
— Mais si !
— Libère-moi et je te dirai pourquoi ce n’est pas aussi simple… Je sais
définitivement, à présent, que tu n’y es pour rien. Je le savais déjà.
À Malte, je t’ai observée et j’ai compris que nous avions un ennemi
commun. Tu l’as vu, aujourd’hui, je n’ai pas cherché à dissimuler ma
présence. Je t’ai suivie de façon plutôt ouverte. Quand j’ai mis le
pied dans ta maison, je savais parfaitement que t’allais me tomber
dessus. Je savais que tu pouvais m’étriper, mais j’ai pris le risque…
— Ouais…
— Libère-moi. Fais-moi confiance.
Mina réfléchit trois secondes et relâche son étreinte. Elle se lève.
— Assieds-toi sur le canapé et tu bouges plus !
L’homme se ramasse, se frotte le bras et se remet debout. Il rejoint le canapé sans un mot.
— Je t’écoute, maintenant !
— OK. Tu vas rester là, debout ?
— Qu’est-ce que ça peut te faire ?
— Fais comme bon te semble… Je commence par où ?
— Va à l’essentiel ! J’ai entendu pour 1993. Ta copine a été victime
d’un loup-garou et, au moment où ton tour était venu, un deuxième
spécimen est intervenu en ta faveur…
— Disons qu’il est venu, je pense, pour en découdre avec le premier
loup-garou. Pas vraiment pour moi même si, à terme, ça m’a sauvé.
— Qu’est-ce qui te fait dire qu’il est venu pour se battre avec le
premier loup-garou ? Il venait peut-être juste pour lui piquer son
repas ?
— Non car l’un des deux m’aurait achevé.
— Pas faux… Tu n’as pas vu l’issue du combat ?
— Non, du tout. Mais, encore une fois, le deuxième loup-garou a dû
faire fuir le premier sinon il serait sans doute revenu festoyer avec
ma carcasse, non ?
— C’est probable… Venons-en à moi. Qu’est-ce qui t’a mis sur ma piste ?
— Mes sens. Mes nouveaux sens. Pendant un paquet d’années, j’ai cherché
des traces dans les journaux des méfaits d’un éventuel loup-garou…
— Les journaux ? Y a Internet, tu sais !
— De 1993 au début des années 2000, eh bien non, y avait pas Internet
pour moi. Par la suite, oui, j’ai commencé à pianoter et,
effectivement, petit à petit, j’ai laissé tomber les journaux. Bon,
bref, c’est pas le sujet. Juste pour dire qu’en 2010, j’ai fini par
trouver des articles sur des disparitions mystérieuses autour de
Toulouse au cours des trois années précédentes. J’y suis allé, je m’y
suis même installé. Du côté de Bonrepos-sur-Aussonnelle, Fontenilles.
J’ai même habité Colomiers. À force, j’ai trouvé des traces… Enfin, pas
des traces de pas ou des trucs visuels mais, comment dire… j’ai un peu
de mal à expliquer ça… Ce sont mes sens qui m’indiquent que…
— T’as trouvé une empreinte. C’est comme ça que ça s’appelle : une
empreinte. C’est comme un sillage invisible, immatériel, que tu peux
suivre les yeux fermés…
— Voilà, c’est ça ! Une empreinte ? Alors, soit, allons-y pour une empreinte…
— C’est l’instinct du loup-garou et tous les sens qui vont avec qui te
permettent ça. Tu le ressentiras aussi sous ta forme humaine très vite.
— C’est déjà le cas, en effet.
— Ah bon ? Eh ben écoute, tant mieux pour toi ! Donc, cette empreinte, c’était qui ou quoi ?
— Je ne sais pas. Tout ce que je peux dire, c’est que c’était celle de
l’un des deux loups-garous dont j’ai fait la connaissance en 1993. J’ai
retrouvé plusieurs lieux de crimes, j’ai même retrouvé des restes !
Notre loup-garou a bien cassé la croûte dans les cantons ouest de la
ville rose.
— C’était lequel des deux ?
— Lequel des deux ? Alors là, impossible de le dire. Ce dont j’étais
sûr, c’est qu’il avait changé de quartier. Il était parti depuis déjà
quelque temps…
— D’accord, mais ça ne me dit toujours pas quel rapport il y a avec
moi. Je n’ai jamais séjourné près de Toulouse. J’y suis passée, certes,
mais je ne suis jamais restée.
— Pour le moment, il n’y a toujours aucun rapport avec toi. Mais laisse-moi finir…
— Oh mais je suis tout ouïe ! J’ai hâte de connaître la fin de cette histoire !
— Après l’épisode toulousain, j’étais revenu au point de départ. Je ne
savais plus trop quoi faire… J’ai laissé un peu tomber les recherches.
De petits boulots en petits boulots, j’ai atterri à Bordeaux en 2013.
Comme je touchais un peu ma bille en informatique, y a une boîte
bordelaise qui m’a embauché pour faire de la protection de systèmes.
C’était un peu de la cyber sécurité avant l’heure… Bref, je me suis
installé dans le Médoc… J’avais un petit studio, je me suis fait un peu
de fric et du coup, j’ai abandonné ma quête. Jusqu’en 2019, en fait.
Ouais, pendant quasi six ans.
— Et qu’est-ce qu’il s’est passé en 2019 ?
— J’ai déménagé. Du Médoc, je suis allé à Cenon. Un appartement de
quarante mètres carrés, résidence neuve, balcon, une chambre… Du grand
luxe pour moi ! J’étais à quinze minutes en tram de ma boîte, donc
vraiment tout allait bien. Tu vois, je me disais qu’il se passait enfin
quelque chose dans ma petite vie. À presque quarante balais, il était
temps !
— Va à l’essentiel !
— Bien, madame ! Un soir, à la débauche, c’était à quelques jours de la
pleine lune, donc j’étais pas bien. Mal partout, comme si on me tirait
les entrailles par le bas, soif, toujours soif. Donc j’ai décidé de
rouler toute la nuit en me dilatant les boyaux avec une bouteille de
whisky. Oui, pas terrible, hein ? J’ai du mal à gérer cette période…
— C’est difficile pour tous les loups-garous. Et t’es pas le seul à picoler. Tous ceux que j’ai connus le faisaient aussi.
— Le faisaient ? Tu les as tués ?
— Pour la plupart, oui. Pas le choix. Continue ton histoire…
— Eh bien, ce soir-là, donc, tandis que je roulais la fenêtre ouverte
dans le quartier des Chartrons, sur les rives, j’ai eu comme un appel,
comme un déclic. Tu vois, c’est comme si le loup m’avait enfoncé un peu
sa griffe dans l’estomac pour me dire : « Hey, tu sens pas ? Ça te
rappelle rien ? »
Mina, à ces mots, finit par prendre place à l’autre bout du canapé.
Tom en sourit.
— Ah, je brûle, n’est-ce pas ?
— C’était quand, précisément, ta virée nocturne ?
— Je dirais mars 2019. Pourquoi ?
— Comme ça. Poursuis.
— J’ai arrêté la voiture, je suis descendu. J’étais sur les quais. Y
avait des odeurs, des bruits, des voix, des formes. J’ai pris le temps
d’écouter mon pote le loup et, au bout de quelques secondes, bingo !
Même pas une minute ! Nan, quelques secondes seulement… C’était si
marqué, si évident, si éloquent ! J’avais retrouvé la trace ! Euh
l’empreinte, pardon. Celle de Toulouse. Celle de 1993. Remarquable,
n’est-ce pas ?
Mina fronce les sourcils.
— C’était une belle victoire pour moi, j’en ai presque oublié mes maux
de ventre ! Bon cela dit, y avait un truc bizarre dans l’empreinte.
C’était la même sans être la même. J’étais persuadé que le loup-garou
était un mâle alors que les nouvelles informations qui me parvenaient
avaient tendance à me laisser penser qu’il s’agissait d’une femelle.
J’ai mis ça sur le compte de mon inexpérience car, pour le reste, ça
collait bien au niveau de l’empreinte. Du coup, évidemment, j’ai repris
mes recherches. Oh pas sur le Net ! Non, j’ai laissé faire le loup. J’y
suis allé au flair. Pas simple mais pleine lune après pleine lune, j’ai
pu identifier qui il y avait au bout de l’empreinte. Tu devines qui ?
— Moi, forcément.
— Exact, bonne réponse ! J’ai repéré ton domicile : une belle petite
échoppe dans le quartier de Nansouty, pas très loin de la gare
Saint-Jean. Je connaissais pas les fameuses échoppes bordelaises donc
je me suis renseigné depuis et je me dois de te féliciter : posséder
une échoppe double, deux fenêtres de part et d’autre de la porte
d’entrée, c’est plutôt un signe extérieur de richesse, donc bravo !
— C’est de l’ironie ?
— Ah non, pas du tout ! Je suis sincèrement admiratif. Moi, depuis la
fin de mes études, je galère, je commence juste à respirer
financièrement parlant avec mon T1 en location. Alors je ne peux être
qu’admiratif, oui c’est le mot. Et je me moque vraiment pas de toi.
— Tu m’as donc repérée quand ?
— Je dirais en septembre.
— Comment se fait-il que je ne t’aie jamais découvert ou jamais senti avant Malte ?
— J’ai fait attention. J’ai demandé à ma copine de l’époque de jouer
les espionnes pour moi. Je lui ai dit que tu m’avais fait des crasses
et que je voulais juste être sûr que c’était bien toi. Et mon Sherlock
Holmes personnel est allé devant ta maison, t’as même suivie deux ou
trois fois. Je lui avais demandé de faire gaffe en lui expliquant que
t’avais un sixième sens très développé. En novembre, j’ai réussi à
chopper ton adresse mail et, comme je bricole bien en informatique,
j’ai pu me connecter à ton portable et j’ai craqué les identifiants de
tes comptes. C’est comme ça que j’ai su que tu allais à Malte.
— Pourquoi t’es pas intervenu avant ? Je veux dire, puisque tu faisais
le lien entre mon empreinte et ce soir de 1993, tu aurais pu essayer de
te venger…
— J’y ai pensé. Mais c’était bizarre. Autant mes sens te désignaient
comme la source de l’empreinte, autant mon instinct me disait qu’il
n’était pas certain que tu sois une ennemie. Paradoxal ! Voire même
contradictoire. Et tu l’as dit toi-même, le loup-garou a besoin de
certitudes. Donc il fallait que je sois définitivement certain que tu
avais bien croqué ma copine de 1993 avant de mettre en place quelque
chose contre toi. J’avais besoin de vacances, je me suis dit que Malte
convenait très bien. Je suis parti quelques jours avant toi et puis je
t’ai attendue… La suite, là-bas, tu la connais, du moins en ce qui te
concerne…
Mina se mord l’intérieur des lèvres. Cette histoire prend un tour qu’elle n’avait pas prévu.
— Et comment as-tu compris que je n’étais pas liée à ta quête
vengeresse alors que mon empreinte me désignait comme le suspect numéro
un ?
— Justement, j’allais y venir… Lorsque tu es arrivée, je te surveillais
et, comme je ne suis pas un grand spécialiste de la filature, j’ai bien
vu, sur le parking, que tu m’avais repéré. Même chose à Sliema. Et,
enfin, près des falaises dont j’ai oublié le nom… Seulement, ce que toi
tu ne savais pas, c’est que j’étais déjà presque sûr que ce n’était pas
toi mon ennemi. Si je te suivais alors, ce n’était pas pour t’espionner
à proprement parler, mais pour identifier mon ennemi. Ou du moins notre
ennemi commun. Car si je considère avec attention tes agissements sur
l’île, je ne vais pas m’autoproclamer devin en affirmant que tu voulais
régler tes comptes avec un autre loup-garou. Celui-là même qui rôdait
autour de la maison de ma copine à Châtillon en 1993. J’ai raison,
n’est-ce pas ?
Tom défie du regard Mina.
— Qu’est-ce qui te fait dire que mon ennemi est aussi le tien ?
— Nous nous sommes croisés à l’aéroport. Je venais d’atterrir et,
pendant que je récupérais mes bagages, je l’ai senti. De façon très
nette. Une sacrée claque pour moi ! Je ne m’attendais pas à une telle
révélation. Il était là, tout près. Cette empreinte était inscrite en
moi comme si je la connaissais depuis toujours. Tout mon corps la
connaissait. Comme une cellule dormante qui ne demandait qu’à être
activée. Je te jure, j’ai eu des flashs, j’ai revu la scène, c’était
fort…
— La scène ? L’assassinat de ta copine ?
— Oui. Et ça a été tellement violent que je me suis retrouvé au sol, à
ne plus pouvoir bouger. Dans la même position qu’il y a vingt-sept ans.
À moitié mort. Incapable de bouger. Des gens sont venus me voir, m’ont
aidé à me relever. J’ai voulu traquer la source de l’empreinte mais ce
saligaud était déjà parti…
— Tu l’as vu ?
— Non. Mais je sais que c’était lui. Je ne peux pas dire que je
comprends le monde depuis que je suis un loup-garou, mais il y a des
choses, imperceptibles pour les humains, que je ressens, que je capte.
Et ce nouveau pas dans ma quête m’apparaissait comme un signe
démontrant que mes nouvelles facultés pouvaient interpréter et utiliser
des informations insoupçonnables qui m’aideraient tôt ou tard à
accomplir des choses et a minima à accomplir ma vengeance. C’est
sûrement pas clair ce que je viens de dire, mais…
Mina sourit légèrement.
— Mais si, c’est même très clair, rassure-toi… Ta perception du monde a
changé et elle changera encore, crois-moi. Fie-toi à ton instinct,
écoute le loup. Tu ne dois pas en avoir peur… Comment sais-tu que c’est
un homme ?
— L’empreinte…
— Bien joué, monsieur l’apprenti loup-garou ! Je pense que tu disais
vrai quand tu évoquais le fait que vous vous êtes croisés. Je pense que
lui était en train de préparer son retour en France.
— Tu crois ? Effectivement, par la suite, je n’ai senti que toi.
— Ce connard m’avait tendu quelques pièges. Il a bien cherché à se débarrasser de moi, mais pas directement.
— Il savait donc lui aussi que tu venais ?
— Oui, il savait que je venais, il connaissait mon adresse de location à Mosta…
— Pas compliqué ! Moi aussi…
— Certes, mais lui, c’est un épouvanteur, un tourmenteur patenté, une
machine à faire du mal… Mieux vaut ne pas croiser son chemin. Pourquoi
es-tu venu ce matin, puisque tu sais à présent qui est l’auteur du
meurtre de ton amie ?
— Eh non je ne sais pas qui c’est, justement. Mais toi tu le sais… Et,
en outre, je suis curieux de savoir pourquoi ton empreinte est liée à
celle du deuxième loup-garou… Donc, soit tu m’as sauvé en 1993, soit tu
détiens un secret que j’aimerais partager… Car il me concerne aussi.
Oui, tu vois, là je devance ta remarque ferme genre « ça ne te regarde
pas ! »
Mina respire longuement tout en observant son invité surprise. Il fait
presque aussi jeune qu’elle et dégage un côté naïf amusant. Il commence
à capter des choses, mais ne sait pas encore comment les assembler. Il
n’est pas idiot, il a même du potentiel. Il se parfume, est propre sur
lui. Sa générosité transpire, son bon cœur le guide. En lui se déchaîne
une quantité incroyable de contradictions. Des contradictions qui
indiquent un manque d’assurance et un contrôle du loup qui l’habite
sans doute très relatif.
— Ce n’était pas moi en 1993.
— Non ? Alors c’était qui ?
Devant le silence de son interlocutrice, Tom se montre magnanime.
— Si tu veux, on peut suspendre cet échange quelques instants.
Qu’est-ce que tu en dis ? Je peux comprendre : je débarque là, je te
raconte ma vie, je débite une histoire vieille de presque trente ans…
Je vais faire un tour et je repasse. Ça te va ? J’espère juste que,
cette fois, il n’y aura pas de clé de bras. Tu m’aurais vraiment cassé
le bras ?
— C’était mon père.
— Hein ? Comment ça ?
— C’est mon père qui t’a sauvé en 1993.
— Ton père ? Mais…
— Ça ne peut être que lui. C’est pour ça que tu as confondu son empreinte avec la mienne.
— Non, j’ai pas confondu, j’ai bien senti qu’il y avait des petites
différences mais, oui c’est vrai, vos empreintes se ressemblent. Ton
père ? Waow ! Mais comment c’est possible ? Ton père s’en est pris à
toi ? Ou le contraire ? Lequel a mordu l’autre ?
— Ce n’est pas une question de morsure. Je n’ai pas connu mon père. Je suis née comme ça, avec cet héritage…
— Tu veux dire que t’étais un loup-garou dès la naissance ? Waow ! Alors, là !
Tom sent qu’il a trouvé une faille profonde chez Mina. Il a envie de
lui témoigner de la compassion, mais il se méfie. S’il venait à lui
toucher la main, elle serait bien capable de l’égorger !
— Je… je sais pas quoi dire…
— Je ne t’ai rien demandé. C’est ma vie. T’as pas à la commenter !
Il se dit qu’il a bien fait de ne pas lui prendre la main.
— Non, mais… C’est juste que… Enfin, je voulais que tu saches que je
peux comprendre que ce soit un fardeau difficile à porter. Voilà,
j’ajoute rien de plus.
Les yeux de louve scannent ceux du mâle. Ces derniers sont emplis de sincérité.
— Il n’était pas là à ma naissance. Il n’est pas venu non plus par la
suite, contrairement à ce que ma mère pensait. Il n’est jamais revenu.
Et pourtant, je sais qu’il est en vie. Je le savais avant ton histoire.
— Comme tu l’as su ?
— C’est une longue histoire. On verra ça une autre fois… Explique-moi
comment tu as fait pour être à Dingli et rester en retrait ? Tu t’es
forcément transformé !
— Tu perds pas le nord, toi, hein ?
— Jamais, monsieur l’apprenti loup-garou. Je vais souvent à l’essentiel, contrairement à toi !
— D’accord… J’étais effectivement à Dingli. Si ce sont des falaises dont tu parles…
— Oui.
— J’avais oublié le nom. Donc, j’y étais. Et c’était la pleine lune, on est d’accord. Je t’ai observée…
— Matée.
— Oh tout de suite ! Je t’ai observée discrètement. De loin. Avec un
drone. Oui, j’ai un drone. Enfin, j’avais… je l’ai perdu. À Malte,
justement.
— C’était toi, le drone ? Je l’ai entendu. Mais seulement une fois
transformée. Pas avant. Mais, attends… Comment t’as fait pour jouer
avec ton drone quand j’étais à la villa ? J’étais transformée, donc toi
aussi ! Donc tu pouvais pas…
— Hooo, bijou, t’emballe pas ! Toi, t’étais transformée, oui, c’est sûr. Moi non.
— Quoi ? Qu’est-ce que tu me racontes ?
— Je n’étais pas transformé.
— Tu t’es transformé à quel moment ?
— Je ne me suis pas transformé.
— Attends, là, y a un truc que je ne pige pas ! À la pleine lune, on se
transforme, c’est comme ça ! Soit t’es un loup-garou, soit t’en es pas
un. Or je sais que t’es un loup-garou. Donc, tu te transformes à la
pleine lune ! Comme moi ! Cette discussion est ridicule !
— Je ne me transforme pas forcément.
— Ah… Et pourquoi ?
— Je peux contrôler le processus. Ne me demande pas pourquoi ni
comment, je ne sais pas moi-même. Tout ce que je peux te dire, c’est
que je ne me transforme pas toujours. Parfois, alors que je ne veux pas
me transformer, le loup se montre trop puissant, trop insistant et je
ne parviens pas à endiguer ses velléités. Mais, à Malte, j’ai résisté
et j’ai tenu bon. Il faut dire que j’avais cédé volontairement lors de
la pleine lune précédente.
— Oui, d’accord… Admettons. Mais ça ne répond pas à ma question. Pourquoi tu ne veux pas te transformer ?
Au tour de Tom de fléchir sous le poids de l’embarras.
— Disons que… que je ne suis pas encore totalement à l’aise avec mon
état ou mon statut, je ne sais même pas comment je dois dire…
— Oui, ça je le devine…
— Je ne suis pas quelqu’un de méchant, fondamentalement. Alors, devoir dépecer et tuer tous ces gens… J’ai du mal. Voilà !
— Tu t’es transformé combien de fois ?
— J’avoue que j’ai pas compté, mais je dirais une soixantaine de fois, peut-être plus…
— Ah oui ! Donc c’est pas juste un effort miraculeux une fois de temps en temps, tu résistes vraiment à la pleine lune !
— Oui, c’est ça…
— Et tu sais pas comment tu parviens à cet exploit ?
— Non. Tout ce que je peux dire, c’est qu’à la naissance, j’ai eu une
maladie de sang qui a provoqué une réaction sur toute ma peau. A
priori, j’étais recouvert d’une carapace, les chirurgiens savaient pas
quoi faire de moi. Et puis, semaine après semaine, ma peau est
redevenue normale et mon sang aussi. Peut-être que ça joue…
— Mouais… Qui peut savoir ?
— En tout cas, d’une certaine façon, chacun de nous est unique. Toi,
t’es née loup-garou et moi je contrôle le processus de transformation.
On peut sans doute trouver un moyen de s’entraider pour affronter notre
ennemi commun, non ?