Hervé l’ignore mais, sous ses fenêtres ou presque, une ombre se faufile dans la nuit et se dirige vers les bungalows où elle compte bien l’attendre le temps qu’il faudra pour l’ajuster et l’éliminer. Elle repère aisément le logement occupé – c’est le seul où la lumière brille et c’est le seul dont la porte d’entrée est gardée par deux clones probablement prêts à mitrailler tout ce qui bouge – puis se poste entre deux conifères, derrière un tas de bois, dans l’ombre. L’angle de tir est bon et personne ne la verra. Quand le bal commencera, elle sera aux premières loges ! Suzanne Werner adapte le silencieux à la bouche du canon de son pistolet Sig Sauer Mosquito. Elle sait que sa cible se trouve encore dans l’hôtel, mais qu’elle en sortira bientôt pour venir tenter de récupérer la brune dont elle s’est entichée. Et là… Dzzzz ! Dzzzz ! Deux balles et c’est fini !
Suzanne explore la nuit et finit par apercevoir le spectre qui la poursuit depuis vingt-sept ans. Elle savait qu’il était là, tapi dans l’ombre, pressentant que la tournure des événements allait à jamais modifier leurs relations. Suzanne peut en finir ce soir avec des années de culpabilité. Elle sait bien que le spectre qu’elle voit n’est pas réel, que ce n’est qu’un déguisement pour masquer sa colère et sa peine. Surtout sa colère, d’ailleurs. Colère de devoir vivre avec le poids d’un passé encombrant, d’un passé sordide où s’entrechoquent des souillures de l’âme et des lieux de dissolution aux murs dégoulinants de crasse, de sang et de secrétions en tous genres. Colère contre ces monstres cornus qui l’ont tous poussée dans les griffes et la couche de l’incube velu, cette engeance répugnante, hirsute et lubrique qui attend dans les méandres obscurs pour se jeter sur le corps de sa proie et la pénétrer avec bestialité. Elle se rappelle ces soirs où, terrorisée et servile, elle attendait dans son lit, mordant le drap pour ne pas crier, tressaillant à chaque craquement, priant pour que la maison s’écroule ou que, l’alcool aidant, il oublie de venir. Puis le loquet cliquetait. Puis la porte grinçait. Puis les ombres couraient sur les murs. Puis elle fermait les yeux. Et puis…