Budapest. Újpesti rakpart. Appartement de Mátyás
22 septembre 1989, 17 h 06.
Jónás et Mátyás, dans le couloir, ont l’oreille collée à la porte d’entrée. Ils chuchotent. Les deux hommes se regardent.
— C’est bizarre, s’inquiète Jónás. On n’entend rien. T’es sûr qu’elles sont là ?
— Je ne sais pas… Je ne sais plus. J’ai peur pour elles. Il faut que j’en aie le cœur net. J’entre…
— D’accord, allons-y. Je te suis.
Mátyás pousse doucement la porte qui s’ouvre sur un couloir plongé dans l’obscurité.
— On voit rien ! (Jónás chuchote.) Mátyás, ça sent le piège.
Les deux hommes s’apprêtent à entrer dans la cuisine quand la lumière inonde soudain la pièce. Aveuglés, aucun des deux amis n’élude désormais le fait qu’ils ne sont pas seuls et que la traque vient de prendre fin.
— If you want to stay alive, don’t move ! We are armed and we’ll open fire if needed ! (Si vous voulez rester en vie, ne faites pas le moindre geste ! Nous sommes armés et nous n’hésiterons pas à ouvrir le feu !) lance une voix anonyme, d’un ton ferme.
Mátyás, en quelques secondes, a évalué toutes les perspectives du moment. Il sait qu’il n’a aucune chance d’échapper à ces mercenaires armés jusqu’aux dents.
— For the last time, if you stay calm, nobody will die. Move an inch, everybody dies, including this woman and this little girl. Mátyás Sétány, did you understand ? (Je répète une dernière fois : si vous restez calme, personne ne mourra. Si vous bougez ne serait-ce que le petit doigt, tout le monde meurt, y compris cette femme et cette jeune fille. Mátyás Sétány, m’avez-vous compris ?)
Mátyás sait que l’Anglais n’est pas la langue maternelle du porte-parole du groupe. Il décèle un accent latin. Français, sans doute. Il sait qu’il aurait peut-être le début d’une chance de repli s’il se retournait brusquement et s’enfuyait à toutes jambes dans le couloir. Mais il sait aussi que ses adversaires ont prévu cela et qu’ils le connaissent assez bien pour savoir qu’il ne partirait jamais sans sa femme et sans sa fille Suzanne.